Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/66

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de haricots en guise d’oreiller. J’ai dû faire un beau rêve : il m’en restait, au réveil, des bribes dans l’esprit, comme un duvet d’édredon.

Les caporaux, rassemblés dans la buanderie, se partagent des effets de laine pour leurs escouades. Depuis qu’il fait moins froid, il en arrive des ballots toutes les semaines. Il était temps…

Le long de la haie, Sulphart brosse les molletières de Gilbert, tout en sifflant. Il a trouvé, chez de bonnes gens, une salle où nous ferons notre popote, et, déjà, il pense au déjeuner. Manger sur une table, dans des assiettes, cela me paraît presque trop beau, et je n’ose pas tout à fait y croire, de peur d’être déçu.

« C’est la bonne vie », répète Sulphart. Autour de lui, ils sont six ou sept qui nettoient leurs capotes crottées. Ils grattent d’abord la boue avec leur couteau ou un tesson de bouteille, et, quand elle est convertie en poussière, ils battent leurs frusques comme un tapis, à grands coups de bâton. C’est ce que nous appelons se brosser…

— Tu parles d’une garce de boue… Et ça tient bon, c’est de la craie…

Avec la charmante impudeur des soldats, deux copains, le torse nu, cherchent leurs poux. Vairon tient sa flanelle à bout de bras, comme un peintre regarde une toile et, le nez froncé, l’œil fixe, il inspecte son linge. Puis, quand il a découvert la bête, il joint rapidement les pouces, et « clac ! » il l’écrase. Broucke, au contraire, examine sa chemise pli par pli, le nez dessus et chasse posément. Quand il en débusque un gros, il pousse un cri.

— Cor un qui n’maquera plus mi.