Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/74

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pour monter aux tranchées. Tu serais pas né un jour de grand vent, des fois ?

Bouffioux commençait tranquillement à remuer son rata.

— T’en fais pas pour le vent non plus… Moi, pourvu que mes cheveux frisent et que mon ventre ne fasse pas de plis, je m’en fais jamais…



C’est ainsi que les sauvages doivent faire leur cuisine, j’imagine.

À genoux devant son chaudron, Bouffioux, un peu saoul, les yeux larmoyants, sa grosse face luisante de sueur et balafrée de suie, souffle à perdre haleine sur un petit bûcher mouillé qui fume sans vouloir flamber. Près de lui, tenant le couvercle comme un bouclier, Vairon remue le rata avec l’échalas, tandis que Broucke, dépenaillé, demi-nu, découpe du « frigo » bien rouge avec une hachette à bois, en hurlant des refrains flamands. On dirait qu’il dépèce un explorateur. Précautionneusement il jette les tranches glacées sur un sac à patates, boueux comme un paillasson.

Tout autour du foyer, des camarades se pressent, les mains dans les poches, l’air prodigieusement intéressés, avec un bout de sourire au coin des lèvres. On dirait qu’ils pincent la bouche pour ne pas laisser fuser leur joie ; de leurs yeux brillants à leurs joues gonflées, on les sent tout prêts à péter de rire.

À genoux, Bouffioux souffle toujours, s’arrêtant pour tousser et cracher de la suie.