Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

foyer rustique, la brassée de papier qu’il venait de remonter de la cave, il examina les nouveaux camarades.

— Tu t’es pas fait voler, dit-il sentencieusement à Bréval. Ils sont beaux comme neufs.

Nous nous étions tous levés et entourions d’un cercle curieux les trois soldats ahuris. Ils nous regardaient et nous les regardions sans rien dire. Ils venaient de l’arrière, ils venaient des villes. La veille encore ils marchaient dans des rues, ils voyaient des femmes, des tramways, des boutiques ; hier encore ils vivaient comme des hommes. Et nous les examinions émerveillés, envieux, comme des voyageurs débarquant des pays fabuleux.

— Alors, les gars, ils ne s’en font pas là-bas ?

— Et ce vieux Paname, questionna Vairon, qu’est-ce qu’on y fout ?

Eux aussi nous dévisageaient, comme s’ils étaient tombés chez les sauvages. Tout devait les étonner à cette première rencontre ; nos visages cuits, nos tenues disparates, le bonnet de fausse loutre du père Hamel, le fichu blanc crasseux que Fouillard se nouait autour du cou, le pantalon de Vairon cuirassé de graisse, la pèlerine de Lagny, l’agent de liaison, qui avait cousu un col d’astrakan sur un capuchon de zouave, ceux-ci en veste de biffin, ceux-là en tunique d’artilleur, tout le monde accoutré à sa façon ; le gros Bouffioux, qui portait sa plaque d’identité à son képi, comme Louis XI portait ses médailles, un mitrailleur avec son épaulière de métal et son gantelet de fer qui le faisaient ressembler à un homme d’armes de Crécy, le petit Belin, coiffé d’un vieux calot de dragon