Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

regarde le maquignon rougeaud, qui a hérité de sa place.

— Tu ne l’auras pas, toi, la blessure coquette, lui lance-t-il de sa voix usée de poitrinaire. Ça te va bien de parler d’attaque, toi qui t’es toujours planqué, foireux !

Bouffioux s’est retourné :

— Écoute-moi, l’autre… Mais s’il fallait que j’fasse l’attaque, j’aurais pas plus les foies que toi… On a fait la Retraite, dis donc.

— Oui, au cul d’un camion.

— Tiens, t’as des raisons de terreux, riposte l’autre pour en finir, j’aime mieux pas discuter.

Et, dédaigneux, il s’en va sur un dernier « Bonne chance, les gars », rejoindre la procession des cuistots, qui s’en retourne par le boyau des Zouaves. Un court instant, on n’entend plus qu’un bruit de bouches qui lapent, les têtes penchées sur les gamelles comme un cheval de fiacre plongé dans sa musette.

— Ça ne fait rien, il vous l’a bien mis, raille le père Hamel, qui se gave de riz au chocolat.

— Débloque pas, lui répond Fouillard, sa barbe rare grasse de soupe. Moi j’l’avais dans l’idée qu’on allait attaquer.

— Eh bien, si on attaque, on le verra, s’écrie Gilbert. Toutes les balles ne tuent pas.

Accroupi dans son trou comme dans une échoppe le petit Belin l’approuve :

— Quoi, ils ne bouffent pas le linge, les Boches. Pas la peine de s’en faire d’avance.

Toute la tranchée connaît à présent la nouvelle ; l’assiette à la main, on bavarde, et des bruits courent