Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/89

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chacun se sert honnêtement. Puis en cercle, tendant le quart, nous entourons Bréval qui partage le vin. Pendant qu’il verse le rabiot goutte à goutte, Sulphart ausculte le bidon d’eau-de-vie. Il fait entendre un cri plaintif, de douleur et d’indignation.

— Ah ! il n’est même pas plein…

Et, brandissant le bidon comme un témoignage accablant, il beugle :

— Ça de cric pour douze hommes, la veille d’une attaque ! Faut pas demander qui c’est qui s’le tape à notre santé… Eh bien ! qu’ils en demandent des volontaires, ils peuvent toujours aller se faire coller.

— C’est le compte, lui répond fermement Bouffioux. Pas tout à fait le bidon par escouade.

— Eh ben, va voir au château, à la table des officemars, s’ils n’ont pas chacun leur plein demi-setier. Et après ça on se foutra des Boches ? Non, laissez-moi me marrer. Tiens, j’en veux pas de leur cric, ils peuvent se le foutre au…

Et il jette avec dégoût le bidon sur le bord du parapet, après s’être assuré que le bouchon tenait bien.

Les bouteillons sont vides, les plats saucés, Bouffioux et son aide reprennent leurs ustensiles, emportant quelques cartes écrites à la hâte.

— Au revoir, les gars, nous souhaite le gros cuistot… Ne vous en faites pas, allez, il y aura des balles filons à récolter… Ce que je souhaite à tout chacun, c’est la petite blessure coquette avec trois semaines d’hostau…

Ces vœux, que l’autre nous fait d’une voix bonasse, ont fait sursauter Fouillard. D’un œil mauvais, il