Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/95

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c’est ce qu’il y a de mieux. Seulement, comme si t’attends les brancardiers t’es sûr de cramser sur l’tas, voilà comment que j’ferais.

Il prend deux lebels aux culasses emmaillotées de flanelle et, sa crosse sous l’aisselle, s’en servant comme de béquilles, il se met à sautiller dans le gourbi, une jambe morte, en geignant d’une voix aiguë :

— Houla ! Houla !… Laissez-moi passer, les gars…

Il a minutieusement réglé sa scène d’évacuation jusqu’au ton de ses cris, glapissants et plaintifs. Mais tout cela ne convainc pas le ch’timi têtu :

— C’est cor el’pied qui vaut l’mieux.

— Eh bien, moi, dit le père Hamel, je veux leur laisser ni pied, ni patte, ni rien… Et le Boche qui voudra m’avoir, faudra pas qu’il s’y reprenne à deux fois ; sans cela, je lui crève le ventre, comme à celui de Courcy.

Ils se taisent, songeurs. Se voient-ils déjà courant dans la plaine, tête enfoncée, courbant le dos sous la mort qui siffle ?

Sulphart et Vairon parlent tout bas :

— Moi, j’ai repéré un trou d’obus, près du ruisseau… Si je vois que l’attaque loupe, je m’planque dedans et j’attends le soir.

— Si on leur paume leurs tranchées, y aura du fricot… Ça fait longtemps que je voudrais une jumelle boche ou un revolver… Après Montmirail, j’en ai vendu un vingt balles à un automobiliste.

Bréval sort de sa méditation morose :

— Ça ne fait rien, dit-il en déroulant ses molletières, on n’en reviendra pas tous…

Près de lui Broucke retire ses godillots.