Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/96

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— Tu sais bien que c’est défendu de se déchausser, lui dit-il. S’il y avait une alerte ?

— J’iro à pied d’bas, lui répond tranquillement le ch’timi en posant sur sa musette sa tête ébouriffée aux cheveux de lin.

Hamel et Vairon, qui ont des trous individuels, sortent du gourbi, et, sous la toile de tente qu’ils soulèvent, entre un peu de nuit froide et noire.

— Ça va encore pincer dur, me dit Fouillard qui enfonce son passe-montagne. Tu me réveilleras, hein ? on prend ensemble.

Je ne veux pas dormir : j’aurais à peine le temps de fermer les yeux. Je prends mon sac à patates et j’y glisse mes jambes pour ne pas avoir froid. Puis, la couverture tirée jusqu’aux yeux, les mains sous les aisselles, je regarde rêveusement sautiller la flamme de la bougie qui meurt. Je reconnais la voix de Sulphart, qu’une fureur impuissante tient éveillé.

— Ce qui me fout à ressaut, explique-t-il au petit Belin, c’est d’aller me faire fendre la gueule pour aller prendre trois champs de betteraves qui ne servent à rien… Qu’est-ce que tu veux qu’ils en foutent, de leur petit bois qui est dans un creux ? C’est pour le plaisir de faire descendre des bonshommes, quoi !…

Le monologue du rouquin doit bercer le gosse comme une chanson de maman. Et sa voix endormie répond :

— Cherche pas à comprendre, va, cherche pas à comprendre.

Les autres voix ont bourdonné un instant, puis se sont tues. Ils dorment à présent. Redressé sur le coude, je les regarde, à peine distincts ; je les devine plutôt.