Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/98

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Déjà !… Je secoue Fouillard qui grogne, nos mains tâtonnent à la recherche des fusils. Nous sortons. Qu’il fait froid ! Le camarade qui m’a réveillé claque des dents, sous sa couverture mise en capuchon.

— Rien de neuf ?

— Non… Une patrouille va sortir… Bonsoir.

On ne voit rien ; dans la tranchée obscure on ne peut distinguer les gabions des guetteurs somnolents. Je glisse mon fusil dans le créneau. Trois heures à passer là…

Par-dessus le parapet, on ne voit pas à dix pas. Le regard fouille les ténèbres jusqu’au réseau enchevêtré où titubent les pieux, puis se perd. Hébété, je regarde sans voir. Je regarde la nuit et j’ai froid. Cela me glisse le long des bras comme un vent glacé, et me pénètre. Je me mets alors à danser d’un pied sur l’autre, en serrant bien ma couverture.

Quand on sort du gourbi, le froid vous mordille le menton, vous pique le nez comme une prise, il vous amuse. Puis il devient mauvais, vous grignote les oreilles, vous torture le bout des doigts, s’infiltre par les manches, par le col, par la chair, et c’est de la glace qui vous gèle jusqu’au ventre. Frissonnant, on danse.

Un long piétinement se rapproche, un cliquetis d’armes. C’est la patrouille qui va sortir. Les hommes portent d’énormes cisailles au cou, comme les vaches suisses portent leurs cloches.

— Tu parles d’un business, dit le premier qui grimpe : il faut ramener chacun un bout de fil de fer boche, pour montrer qu’on y est allé… Comment qu’on va déguster !

Pesamment, ils escaladent le parapet, cherchent la