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I

LA HANTISE

Le docteur de Laize se leva irrité. D’un geste du poing, il ferma le gros volume ouvert sur son large bureau de chêne clair. La face dure, il regarda vers la fenêtre, d’où tombait un jour métallisé, puis, d’un pas pesant, il se mit à marcher de long en large dans le vaste cabinet.

La pièce s’étalait, longue, chaude et parfumée. On se devinait chez un médecin pour femmes. Deux bibliothèques faisaient face à la baie, et des nus de l’École moderne, peints lourdement, décoraient, au-dessus des livres, les murs ripolinés en blanc et gris, à raies verticales. Des deux grands côtés, l’un était occupé au centre par le traditionnel fauteuil à renversement ; quatre vitrines l’encadraient, où tous les outils délicats de la chirurgie intime exposaient leurs aciers polis. Le bureau régnait en face, près du jour ; deux sièges de cuir profonds et souples, avec un guéridon en vernis Martin, donnaient un air familier à ce panneau. Une magnifique tapisserie ancienne l’ornait, où Pomone et Flore faisaient des grâces parmi des chevaliers en heaume, portés par des destriers massifs aux pattes prétentieuses.

Indifférent à ce décor fantaisiste et ironique, où l’art et la douleur se complétaient de façon si peu attendue, le docteur de Laize, le sourcil bas, allait et venait comme un fauve.

C’était un homme puissant et beau. Son masque, efféminé dans l’adolescence, avait pris aujourd’hui la puissance césarienne. L’œil était dur et aigu. La bouche sinuait, avec une tendance au rictus de mépris. Il portait droit sa tête hautaine, brune et oblongue. Le corps, que la graisse guettait, avait encore la plénitude athlétique : taille mince et cambrée, thorax épa-