Page:Dormienne - Les Caprices du sexe.djvu/99

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noui, limité par des épaules rondes, jouant bien sous le vêtement du grand faiseur. Il fascinait les femmes, et le nombre de bonnes fortunes qu’on prêtait au docteur de Laize dépassait celles que s’attribue le roi des séducteurs : Casanova.

Le médecin allait cependant à la fenêtre. Il regarda le dehors. La large avenue y offrait des arbres cachectiques et une chaussée polie par les pneus d’autos. Une buée se levait aux lointains. Cela sentait le crépuscule automnal. En face, une fenêtre s’alluma, et cette lueur dorée attira le regard du médecin ; comme hypnotisé, il resta deux minutes à fixer cette tache claire, puis il se remit à marcher.

Le docteur de Laize était amoureux.

Trois années auparavant, il avait cru épouser une compagne d’enfance : la fille du marquis de Bescé. Me de Laize, son père, notaire de la famille Timo de Bescé d’Yr, était en effet un familier du château où vivait le marquis, grand financier et directeur de la Banque du Centre. Quinze années durant, on avait donc admis que Louise de Bescé dût épouser Jacques de Laize. Et puis, quelques jours après une scène, qui, pensait le médecin, établissait précisément son droit de fiancé, lorsqu’il avait pu poser enfin ses lèvres sur la chair intime de la charmante Louise, et lui déceler le plaisir, elle avait quitté sa famille en secret et nul n’avait pu savoir sa destinée. Où était-elle ? À Paris, hors de France, ou morte ? De Laize éprouva une douleur atroce. Pour lutter contre son mal, il se jeta dans l’étude. Il avait cru oublier…

Maintenant, le docteur de Laize était l’un des plus célèbres médecins des cinq mondes. Il avait gagné des millions. Et voilà que sa peine d’amour, endormie durant les années de dur labeur, se réveillait soudain. Il s’y sentait tenu comme une chaîne possède le forçat. La douce figure, triste et froide, de Louise de Bescé régnait maintenant en lui jusqu’à le hanter comme un succube. Il en souffrait. Peut-on être un illustre médecin, un de ceux vers la parole duquel aspirent des milliers de malheureux, un de ceux qui font des miracles rien qu’en disant au malade :