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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

C’est la seule fois, dans l’œuvre entière de Leconte de Lisle où, la personne du Christ est, passionnément, confondue avec les abus que l’évolution historique apporta dans l’en seignement évangélique. C’est que le poète est vraiment palpitant en face de cette révolution, à ses yeux impie, qui, au culte de la Beauté et de la Joie vient substituer, pour l’humanité, l’ivresse de la Souffrance. Là est l’explication de l’orgueilleuse fierté avec laquelle il s’écrie devant le cadavre de cette vierge qui mourut pour n’avoir pas voulu se détacher du rêve hellénique :


« Dors, ô blanche victime, en notre âme profonde
Dans ton linceul de vierge et ceinte de lotos ;
Dors ! l’impure laideur est la reine du monde,
Et nous avons perdu le chemin de Paros.

Les Dieux sont en poussière et la terre est muette :
Rien ne parlera plus dans ton ciel déserté.
Dors ! mais vivante en lui, chante au cœur du poète
L’hymne mélodieux de la sainte Beauté

Elle seule survit, immuable, éternelle
La mort peut disperser les univers tremblants,
Mais la Beauté flamboie et tout renaît en elle,
Et les mondes encor roulent sous ses pieds blancs ![1] »


Dans la Préface de ses Poèmes et Poésies, Leconte de Lisle formule définitivement son idéal religieux de la Beauté Grecque. Il ose écrire : « Depuis Homère, Eschyle et Sophocle, qui représentent la Poésie dans sa vitalité, dans sa plénitude et dans son unité harmonique, la décadence et la barbarie ont envahi l’esprit humain… En fait d’art original le monde romain est au niveau des Daces et des Sarmates ; le cycle chrétien tout entier est barbare. Dante, Shakespeare et Milton n’ont prouvé que la force de leur esprit individuel ; leur langue et leurs conceptions sont barbares… La sculpture s’est arrêtée à Phidias et à Lysippe ; Michel Ange n’a rien

  1. « Hypatie ». Poèmes Antiques.