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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

« Le mode de traduction, tel qu’il a été accrédité chez nous depuis le XVIIe siècle écrivait-il, est particulièrement sympathique au goût français. La délicatesse extrême de notre langue, qui ne souffre que les termes nobles, et sa rigidité grammaticale, qui ne saurait se ployer aux tournures au moins singulières des idiomes étrangers, trouvent une entière satisfaction dans les travaux curieux, que plusieurs écrivains distingués ont exécutés sur des poèmes grecs, latins, anglais et italiens. Tous ont négligé la lettre pour s’attacher uniquement, disent-ils, « à l’esprit » de l’œuvre originale. Un succès incontesté a tout de suite couronné de si nobles efforts et ils ont enrichi la littérature nationale « d’autant de conquêtes de leur génie » — s’il m’est permis d’emprunter à M. de la Harpe, l’heureuse expression qu’il emploie pour caractériser ces traductions excellentes…[1] »

Et comme si la cinglante raillerie n’était pas assez évidente, il précise :

« … À vrai dire, les esprits cultivés ne reconnaissent quelque mérite à Homère, à Virgile, à Dante, à Milton, au Tasse, que depuis les profondes corrections auxquelles ont été soumis ces poètes, — si éloignés de cette perfection dont nous nous sommes fait une habitude constante ! Ce sont aujourd’hui, grâce à leurs traducteurs, autant d’honorables écrivains français, débarrassés de tout caractère propre. Les hommes de goût peuvent lire leurs ouvrages sans crainte : ils peuvent être sûrs que les noms aux désinences ridicules ont disparu. Les termes barbares ont fait place à des locutions permises par le Dictionnaire de l’Académie. Toutes les mœurs ont été réformées, et — dans l’antiquité païenne, — nos vertus modernes, brillent du plus vif éclat !… En face de ces prodigieux résultats, notre gratitude ne peut être égalée, que par notre admiration.[2] »

  1. Préface des Idylles de Théocrite.
  2. Ibid.