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LA GRÈCE

En persifflant ainsi les Dacier, les La Harpe, les Bitaubé et leurs écoles, Leconte de Lisle formule sa propre méthode de traducteur. Il répond d’avance à des reproches qu’il prévoit. Il indique les partis pris dans lesquels sa conscience et sa science se complaisent : « … Les versions littérales, écrit-il, sont condamnées en théorie et en fait. Ce sont aujourd’hui les versions spirituelles qui l’emportent : celle-ci est littérale. »

Il ne faut point s’étonner si, entré dans le champ clos de la traduction avec de pareilles fanfares satiriques, et une décision si arrêtée de bousculer les conventions où la critique de son temps se confinait, Leconte de Lisle a soulevé des détractations et des admirations passionnées. Le savant helléniste, M. Egger, qui a tenté d’acclimater chez nous les mœurs de la critique allemande, et qui, en défiance de ce qui est beauté dans les lettres grecques, ne voulait y voir qu’une occasion de grammaires comparées — s’indigne le premier contre la prétention qu’un artiste et un poète manifeste, d’aborder un domaine que l’érudition scolastique entend réserver pour soi seule. Il dit dans une de ses leçons :

« … Les traductions d’Homère par M. Gignet et par M. Pessonneaux, la dernière surtout, témoignent d’un effort honorable pour reproduire, en français, la couleur du style particulier de la vieille époque grecque sans tomber dans l’abus d’exactitude presque matérielle, dont ne se défend pas M. Leconte de Lisle, auteur de la plus récente traduction de l’Iliade et de l’Odyssée.[1] »

Ce jugement, d’un inspecteur général, indiqua le sens dans lequel un certain nombre d’universitaires allaient, désormais, diriger leurs attaques contre les traductions du poète. Leurs arguments ont été repris et codifiés dans l’article par lequel le professeur Maxime Gaucher accueillait la traduction d’Euripide.

  1. L’état des Langues et des Littératures grecques en France, 1886.