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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/109

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LA GRÈCE

dans les veines, tout comme Chénier, du sang hellène, et qui avait la sensation de la Grèce par ses moelles autant qu’il la comprenait par son cerveau, ajoute cette nuance de réserve : « Leconte de Lisle aurait dû naître à Athènes au temps de Phidias : il lui manque la grâce ionienne. »

M. Jules Lemaître exprime les mêmes nuances en ces termes : « … Dirai-je qu’il manque à ces Églogues, pour être entièrement grecques, le « je ne sais quoi » que Chénier seul a connu par un extraordinaire privilège ? M. Leconte de Lisle a peu de naïveté, et il serait naïf de s’en étonner ou de s’en plaindre. »

Peut-être en effet, l’âme de Leconte de Lisle était-elle trop sévère, trop résolument arrêtée, pour pouvoir rendre ce quelque chose d’ondoyant et de souple qui est la grâce du génie grec ? Quoiqu’il en soit, il faut reconnaître que le culte de la Grèce fut, chez Leconte de Lisle, un acte de qualité intellectuelle plutôt qu’un élan de passion instinctive et irréfléchie.

Ceux qui ont traversé les pays vierges, où le débordement de la nature masque, tout à fait, l’effort de l’homme, avouent, qu’après l’enivrement qui sort de la beauté naturelle, ils ont éprouvé une sorte de fatigue nerveuse à ne retrouver, nulle part, sous ces explosions de fécondité sans limites, ces harmonies de l’ordre, ces cadres quasi géométriques, qui se nomment un commencement, un milieu, une fin, et dont le cerveau de l’homme moderne ne peut plus se passer. Leconte de Lisle, qui sentait les beautés, les profusions, les troubles de la nature tropicale comme un prolongement de sa sensibilité personnelle, aima et honora surtout, dans la Grèce, la divinité supérieure qui l’arrachait aux songes du Nirvana, à ce qui risquait de demeurer pure volupté dans sa compréhension de la création. Cela dit, tout en soulignant ce qu’il y a d’excessif à prétendre qu’il connut la Grèce en « puritain » comme l’a écrit M. de Ricard[1], il est certain

  1. Dans une étude où il rapproche l’œuvre grecque de M. Anatole France de celle de Leconte de Lisle, M. de Ricard dit : « L’amour