Cette dernière proposition éclaire merveilleusement les intentions dans lesquelles Leconte de Lisle écrivait son poème : Khiron et Orphée[1].
Un personnage mystérieux sort de l’inconnu, s’avance vers le peuple. Nul ne sait son nom ; pourtant, à son apparition, la multitude est heureuse. Elle l’accueille comme un héros, comme un rédempteur, avec des hosannahs que, sans doute Leconte de Lisle rêva, pour soi-même, au temps où, adolescent bouleversé par sa vocation, par l’orgueil des forces qu’il sentait sourdre en soi, il songeait, couché au bord du Bernica, aux gloires promises à sa jeune destinée :
« ...........Les dieux
D’un sceau majestueux ont empreint son visage,
Dans ses regards profonds règne la paix du sage,
Il marche avec fierté. Sur ses membres nerveux
Flotte le lin d’Égypte aux longs plis. Ses cheveux
Couvrent sa vaste épaule, et, dans sa main guerrière
Brille aux yeux des pasteurs la lance meurtrière,…
Silencieux, il passe, et les adolescents
Ecoutent résonner au loin ses pas puissants…
C’est un Dieu ! pensent-ils ; et les vierges troublées
S’entretiennent tout bas en groupes rassemblées… »
Le rôle que Leconte de Lisle réserve à ce séducteur est défini. Il doit présenter, à la foule, sous un vêtement de beauté qui les rendra tangibles, les vérités essentielles. Mais tout d’abord, afin de s’instruire lui-même dans la connaissance de ces vérités premières, il ira interroger les Sages, qui savent l’histoire des anciens jours, tout ce qui touche aux Dieux, que l’homme ne doit pas craindre ; à la Nature, qu’il doit adorer ; aux Mystères, qu’il doit s’efforcer de pénétrer.
Dans la fable d’Appollonius de Rhodes, qui est la source où Leconte de Lisle a puisé pour son poème Khiron, il n’est
- ↑ Démocratie Pacifique, 1847. — En 1855, dans les Poèmes Antiques, cette pièce sera classée sous le titre de Khiron.