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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/140

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

que l’Humanité versera, sans fin, sur le destin des meilleurs, des plus nobles de ses fils, les Poètes, quand elle a dressé, comme l’image même de la Mère Douloureuse, cette Niobé qui, en vain, tend les bras aux glorieux enfants que transpercent, autour d’elle, des flèches jalouses ?

Qu’importent toutes ces épreuves, toutes ces morts tragiques, tous ces deuils ! Pas une seconde, la foi que Leconte de Lisle a dans la destinée finale du poète et dans le triomphe de la Beauté dont il est le ministre, n’est entamée. Le spectacle de tant de vaines tentatives, ni la crainte des supplices ne peuvent rien pour le décourager. Même il promet à Niobé que la douleur et les souffrances ne seront pas éternelles ; il lui annonce l’avènement de la « Divine Aurore » que déjà il aperçoit, au delà du dernier horizon :


« … Un grand jour brillera dans notre nuit amère…
Attends ! et ce jour-là tu renaîtras, ô mère !…
Tu briseras le marbre et l’immobilité ;
Un cœur, fera bondir ta poitrine féconde ;
Ton palais couvrira la surface du monde
Et tes enfants, frappés par les Dieux, rejetés,
Seuls Dieux toujours vivants, que l’amour multiplie,
Guérissant des humains l’inquiète folie,
Chanteront ton orgueil sublime et ta beauté.
Ô fille de Tantale ! Ô mère Humanité !…[1] »


  1. Niobé parut pour la première fois dans La Démocratie française
    (en 1847) avec ce dénouement. Les jeunes écrivains socialistes de 1848
    en furent très frappés. — Dans les Poèmes Antiques (1855), la fin de
    la pièce a été modifiée par le poète.

    Leconte de Lisle ne se lassait pas d’affirmer a cette minute, la foi
    qu’il avait dans le triomphe final de la poésie. En parlant des poètes,
    qu’il compare au blé étouffé par l’ivraie, il s’écrie :
    « … Que le siècle aveuglé, vous brise et vous opprime
    Ne désespérez point de la lutte sublime
    Épis sacrés ! Un jour de vos sillons bénis
    Vous vous multiplierez dans les champs rajeunis,
    Et, dépassant du front l’ivraie originelle,
    Vous deviendrez le pain de la vie éternelle… » « Les Épis ».

    La Démocratie Pacifique, 1848.