Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
LE RÔLE DU POÈTE

Pour que cet espoir, un jour, puisse se réaliser, Leconte de Lisle ne veut pas que l’enseignement soit donné au poète sous la figure d’un certain nombre de propositions toutes faites, que l’instituteur enfonce, de gré ou de force, dans la mémoire de l’écolier. Sur cette méthode d’éducation, il a dit son sentiment en termes vifs :

« Il n’appartient à qui que ce soit d’enseigner l’héroïsme aux lâches, ni la générosité aux âmes viles, non plus que l’esprit aux niais ni le génie aux imbéciles. Il serait aussi facile aux chimpanzés de donner des leçons de zend et de sanscrit a leurs petits… « Maître de l’éducation, maître du genre humain », a dit Leibnitz. Rien de plus communément accepté, rien de plus faux ; les hommes ne se pétrissent pas entre eux comme des morceaux de terre glaise…[1] »

On l’a vu : lors de sa mission politique en Bretagne, il avait été frappé de ce fait que l’ignorance où il avait trouvé les foules, sur ce qui lui paraissait être l’essentiel du problème historique, social, économique, philosophique et religieux, avait été une des causes de l’avortement de la Révolution de 48. À présent il est persuadé que le devoir du poète et du penseur est de se consacrer à l’instruction de ces simples. Dans ces sentiments il conçoit le plan d’un ouvrage torique en prose qui donnerait une première base à son action morale :

« Manou et moi, écrit-il, nous sommes en train de faire L’Histoire des Guerres Sociales, jusqu’aux Anabaptistes inclusivement…[2] »

On ignore si Leconte de Lisle et son collaborateur se mirent jamais à cette besogne, ou s’ils se contentèrent de rédiger un plan. Ce n’était là, qu’une œuvre de prose, et la

  1. Étude sur Auguste Barbier ». Nain Jaune, 1864. — Et dans la Préface de ses Poèmes et Poésies, il déclare qu’il a « peu de goût pour le prosélytisme ».
  2. Lettres à Ménard, 1849.