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LE RÔLE DU POÈTE

si vous ne le guidez dans sa recherche de ses traditions idéales…[1]

Pour devenir digne d’un tel rôle le poète d’aujourd’hui doit s’isoler du monde de l’action, pour se réfugier dans la vie contemplative et savante, comme en un sanctuaire d’étude, de noblesse, et de purification. Par cette méthode il acquerra l’érudition dont les certitudes doivent remplacer les affirmations et les apostrophes d’autrefois :

« … Nous sommes, une génération savante : la vie instinctive, spontanée, aveuglement fécondée de la jeunesse s’est retirée de nous.[2]  »

Ainsi, en acceptant cette loi de son temps. Leconte de Lisle avait un mouvement de regret vers ces jours heureux où le poète, en contact direct avec les dieux, n’avait pas besoin d’aller puiser son inspiration, dans la poussière des bibliothèques :

« … Ranimer les ossuaires est un prodige qui ne s’est point présenté depuis Ézéchiel. Je ne me suis jamais illusionné sur la valeur de mes poèmes archaïques au point de leur attribuer cette puissance.[3] »

Trente-neuf ans plus tard, en recevant Lecontede Lisle à l’Académie française, Alexandre Dumas fils lui dit :

« … Vos théories premières et vos aspirations finales, sont la direction — plus ou moins éloignée dans l’avenir, de l’âme humaine par les poètes régénérés. Je crains que vous fassiez là, monsieur, un rêve irréalisable qui doit tenir à vos origines orientales et à vos idées personnelles en matière religieuse… »

Et Dumas développa la thèse des transformations que le christianisme a produites dans le monde, en subtituant l’idéal du Bien, à l’idéal du Beau.

  1. Préface des Poèmes Antiques, 1852.
  2. Préface à Beaudelaire, 1861.
  3. Préface des Poèmes et Poésies, 1855.