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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/160

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

On se rend compte de l’émotion que dut éprouver le poète, plongé dans de telles crises de sensibilité aiguë et de dépression psychique, lorsque, pour la première fois, vers 1848 dans la traduction de Burnouf, ce fragment de l’Hymne de Brahma lui tomba sous les yeux :

« … Les craintes que font naître en nous nos parents, notre corps et nos biens, le chagrin, le désir, la détresse, la cupidité insatiable, la fausse notion, source de douleur qui nous fait dire : « Ceci est à moi », tous ces maux durent tant que le monde, ô ! Bhagavat, ne s’est pas réfugié à tes pieds qui donnent la sécurité. »

Dès cette minute, et bien que son cerveau appartînt, à ce moment-là, à l’action, Leconte de Lisle, sentit que les angoisses de son âme ne trouveraient d’apaisement que dans la culture hindoue. Nous avons vu, ailleurs, qu’il entra dans cette extase, non seulement en poète, séduit par la beauté des songes, mais surtout en « souffrant », qui cherche un remède à sa douleur ; en éducateur ; en altruiste, qui veut indiquer, aux autres hommes, de quelle source jaillit la sagesse par où les maux humains sont apaisés. Et, n’est-ce pas, dans le calme, qu’on doit chercher à atteindre le souverain bien ?

« Le calme ! s’écrie-t-il. Oh ! qu’il est de courte durée ! Pourtant s’il m’abandonne souvent, il revient aussi et je veux oublier qu’il doit bientôt disparaître.[1] »

Aussi est-ce avec une sincérité éperdue qu’il se jette aux pieds de Brahma, de :


«… Celui que ne connaît les désirs, ni les larmes,
Par qui l’Insatiable est enfin satisfait[2]. »


C’est, avec autant de piété que son jeune héros Çuna-

  1. Lettre de Bourbon adressée à Rouffet à Rennes, 1840. Il ajoute : « J’ai des heures de défaillance, avec des crises de larmes plus amères et plus cuisantes que je ne saurais dire ».
  2. Vision de Brahma ». Poèmes Antiques.