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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/172

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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Et il ne se contente pas de concevoir ce type glorieux du jeune homme, qui vit affranchi des tyrannies du désir, il veut le rendre visible à tous, il le décrit avec la tendresse qu’on a pour un frère :


« Bienheureuse l’austère et la rude jeunesse.
Qui rend un culte chaste à l’antique vertu !
Mieux qu’un guerrier de fer et d’airain revêtu
Le jeune homme au cœur pur marche dans la sagesse.
Le myrte efféminé n’orne point ses cheveux
Il n’a point effeuillé la rose ionienne,
Mais sa bouche est sincère et sa face est sereine.[1] »


En 1847, au moment où il venait de se fixer à Paris, Leconte de Lisle publiait une idylle grecque : Glaucé, dont le symbole est transparent. Le poète avait vingt-sept ans ; sa beauté de Celte croisé de créole était rayonnante ; les femmes le remarquaient ; il n’aurait tenu qu’à lui de glisser à de faciles amours. Mais son cœur, son esprit étaient ailleurs. Une fois pour toutes il répondit, à ces tentatrices, par l’apostrophe qu’il a placée dans la bouche du jeune pasteur sensible aux provocations de Glaucé. « Viens ! », murmure la nymphe : « Viens, tu seras Dieu ». Mais le jeune homme qui, sur la flûte harmonieuse, chante, du matin au soir les beautés de la Terre nourrice, répond sans s’émouvoir :


« Ô Nymphe ! s’il est vrai qu’Éros, le jeune Archer,
Ait su d’un trait doré te suivre et te toucher ;…
… Je te plains !...
Mais je ne puis t’aimer : Kybèle a pris mes jours,
Et rien ne brisera nos sublimes amours.
Va donc !…[2] »


Leconte de Lisle est persuadé que, si le désir vient à effleurer la beauté, la vision divine s’évanouit :

  1. « Hélène ». Poèmes Antiques.
  2. « Glaucé ». Poèmes Antiques.