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LA CONCEPTION DE L’AMOUR

ferme pas dans son cœur les passions convulsives d’un Claude Frollo qui cherche à accorder ses vertus avec ses vertiges. Il est né chaste. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter les yeux, sur ces premiers essais, où un cœur se répand dans son ingénuité, avant la minute où des préoccupations esthétiques quelconques interviennent pour endiguer l’inspiration.

On conserve au Lycée Leconte de Lisle de Bourbon le manuscrit d’une nouvelle, écrite par le poète, alors qu’il avait dix-neuf ans. L’adolescent s’écrie :

« … Ô première larme de l’amour. Comme une perle limpide, Dieu te dépose au matin sur la jeunesse en fleur. Heureux qui te garde des ardentes clartés de la vie et te recueille pieusement au plus profond de son cœur Si ta fraîcheur printanière résiste aux atteintes du soleil ; si rien ne ternit ta chaste transparence. Ô première larme de l’amour, la mort peut venir : tu nous auras baptisés pour la vie éternelle.[1] »

D’autre part, il affirme à ses amis qu’il entend évoluer au-dessus des passions vulgaires, dans la sphère de l’amour idéal :

« Vous dites que vous ne concevez pas les joies et les douleurs de cet amour-là ?… Elles sont pourtant faciles à comprendre malgré la mysticité dont elles ne peuvent se séparer. Cet amour infini, si puissant de grâce et de poésie qu’il a le merveilleux pouvoir de créer des êtres parfaits, touche pourtant à l’humanité par quelques points, puisqu’il est en nous. Aussi le reflet du monde visible agit-il parfois sur les rêves dont il s’enivre. Alors la pensée humaine entache la pensée immatérielle et le morne positif revenant se poser à côté de l’idéalité, heurte l’âme et la fait retomber dans les liens terrestres dont elle se débarrassait. De là, joie ou douleur.[2] »

  1. « La Rivière des Songes », 1837.
  2. Lettre adressée à Rouflet. Rennes, 1838.