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LA VIE PASSIONNELLE

« … Vous, vers qui montait mes désirs éperdus,
Chères âmes, parlez, je vous ai tant aimées ![1] »


Mais les spectres des anciennes adorées ne répondent point :


« Les voici devant moi blancs et silencieux…
Ces spectres ! on dirait en vérités des morts !
Tant leur face est livide !…[2] »


Devant l’indifférence glacée de toutes celles qui furent charmées par son amour, brisé de chagrin, mordu de regrets, le poète se reproche comme un crime d’avoir aimé.


« Oui ! le dogme terrible, ô mon cœur a raison.
En vain les songes d’or, y versent leurs délices
Dans la coupe où tu bois nage un secret poison.[3] »


Et une fois de plus il sent que le désir est corrupteur, il se jure d’imposer silence à la perpétuelle renaissance du cœur :


« Frémirons-nous toujours sous ce vol irrité ?
N’arracherons-nous point ce dard qui nous torture
Ni dans ce monde, ni dans notre éternité[4] ».


Peut-être est-ce à ce moment, d’extrême souffrance, que Leconte de Lisle composa cette pièce de l’Illusion suprême où, avec tant de tremblement, il nous a montré celui qui va mourir, évoquant pour lui sourire encore, le « cher fantôme, » qui fit battre son cœur pour la première fois. Celle-là, du moins, n’a rien brisé dans l’âme du poète, ou elle continue de vivre dans sa beauté d’aurore :

  1. « Les Spectres ». Poèmes Barbares.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Ibid.