Aller au contenu

Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Mais, comment être sûr que, dans la mort même, on reconquiert un repos à jamais perdu ? Le poète évoque, dans l’espace sans bornes, tous ceux dont le cœur saigna pour avoir « trop aimé ». Il les aperçoit, se dressant du fond de leurs tombeaux, roulant dans un noir tourbillon de haine et de douleurs, flagellés de désirs furieux par « le Vieil Amour » qui, éternellement vole derrière ces âmes défaillantes. Et, lui-même, il se met au nombre de ces morts que l’Amour poursuit au delà du tombeau :


« ... Je me levais de ma tombe glacée,
Un souffle au milieu d’eux m’emportait sans retour ;
Et j’allais, me mêlant à la course insensée,
Aux lamentations des damnés de l’amour…[1] »


Et le poète pense que les Titans, enchaînés dans l’Érèbe, étaient moins à plaindre que ceux que l’amour à brisés, il leur crie :


« … Vous ignoriez ces affreuses détresses,
Et vous n’aviez perdu que la terre et le ciel !…[2] »


Il se sent parvenu au sommet d’une montagne de douleur du haut de laquelle il jette un long regard sur son passé. La dernière et définitive souffrance réveille en lui toutes celles dont il a cru mourir :


« Trois spectres familiers hantent mes heures sombres
Sans relâche, à jamais, perpétuellement,
Du rêve de ma vie ils traversent les ombres.[3] »


Ces trois spectres ont des noms : ce sont « ses trois remords ». Et ces trois remords il les supplie :

  1. « Les Damnés ». Poèmes Barbares.
  2. Ibid.
  3. « Les Spectres ». Poèmes Barbares.