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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

rieurs qui attiraient Leconte de Lisle dans la maison ; il était sensible à la beauté vraiment royale de sa jeune parente qui avait, aux Tuileries, où les jolies femmes étaient légion, des succès mérités de beauté.

Le poète retrouvait en elle cet éclat de la brune au teint mat dont jadis il avait chanté l’attrait dans sa nouvelle : Mon premier Amour en prose. Il avait, du côté de son cousin, moins de satisfactions d’amitié. En effet, le génie, que tout l’entourage s’accordait à reconnaître à Leconte de Lisle, apparaissait, à M. Y… comme une mine que le poète avait le devoir d’exploiter pratiquement. Dans ces dispositions affectueuses, mais inconsciemment blessantes, M. Y… n’avait pas craint, par exemple, de conseiller à Leconte de Lisle de profiter « de ce qu’il avait de la facilité à tourner les vers, » pour composer : « des chansons, que Thérésa interpréterait à l’Alcazar ! »

De pareilles profanations semblaient autoriser toutes les revanches.

Encore qu’elle n’appréciait peut-être point, à sa valeur, le talent de son cousin, Mme  Y… discernait, tout de même ce qu’il y avait d’outrageant, pour l’auteur des Poèmes Antiques à lui proposer de telles collaborations. Elle s’appliqua en secret à consoler le poète, incompris — comme peut-être elle était, elle-même, incomprise — d’un homme énergique, actif et bon, mais qui demeurait étranger aux nuances. Une intimité de délicatesse et de douceur grandit donc entre le poète et cette magnifique parente qui lui rapportait, dans l’épanouissement de sa beauté, un reflet des séductions toujours regrettées de son île si chère. Leconte de Lisle ne résista pas à traduire, dans des vers, les sentiments dont il se sentait possédé. Comme il ne pouvait célébrer directement, sous son nom, la séduisante créole, il imagina de lui faire hommage d’un poème d’amour : Les Roses d’Ispahan, dans lequel il la vêtait des velours et des soieries d’une sultane d’Orient :