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LA VIE PASSIONNELLE


« Les roses d’Ispahan, dans leur gaine de mousse,
Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l’oranger
Ont un parfum moins frais, ont une odeur moins douce,
Ô blanche Leïlah que ton souffle léger,[1] »


Le poème est curieux à relire quand on sait quel sentiment l’inspira. Il n’est pas seulement une fantaisie de poète adroit : on y sent vibrer un vrai tourment d’amour qui fait ricocher le mot de « léger », dont la pièce est comme saupoudrée. « Ton rire léger » ; « ton amour léger » ; « le vol léger de tes baisers »; pour s’achever dans ce cri, derrière lequel on sent les griffes de la bouderie, les blessures de l’inconstance :


« Oh ! que ton jeune amour, ce papillon léger
Revienne vers mon cœur d’une aile prompte et douce
Et qu’il parfume encore les fleurs de l’oranger
Les roses d’Ispahan dans leurs gaines de mousse ![2] »


Bien que nul trait précis n’ait dessiné ici le portrait de celle, à qui cette pièce est dédiée, excepté peut-être ce coup de pinceau plus vif : « ta lèvre de corail », on sent, sous toute cette « légèreté », la créole, pour qui l’amour est un passe-temps d’oisiveté, comme les parfums, la danse, les fleurs. On songe, on ne sait pourquoi, à cette autre fille des lies, en qui s’incarnèrent toutes les grâces et les insuffisances de ses pareilles, cette Joséphine de Beauharnais dont le nom, les mélancolies d’amour, légères comme son amour même, se confondent, elles aussi, dans notre souvenir, avec le parfum des roses — les « roses de la Malmaison. »

Cette passion, que les langueurs, le charme félin de la belle créole avait éveillée dans l’âme, trop ardente, de Leconte de Lisle devait le torturer. Le poète s’avisa de cette souffrance

  1. « Les Roses d’Ispahan ». Poèmes Tragiques, 1884.
  2. Ibid.