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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

sent de la mysticité, à la minute même où le dessin de la bouche révèle l’ironie.

Ce n’est en effet ni l’hérédité languedocienne, ni l’influence créole, qui dominent dans Leconte de Lisle : c’est l’hérédité normande, et, surtout, l’hérédité celtique. Il a emprunté, à ses aïeux normands, la régularité des traits — pour tout le reste, et avant tout, il est un enfant de Bretagne. Il l’est au moral comme au physique.

Tout ce que son compatriote Ernest Renan a dit des instincts du peuple celte, de son total désintéressement pour ce qui n’est pas l’idée pure ; de sa douceur foncière ; de sa façon si particulière et si chaste de comprendre l’amour ; de sa curiosité angoissée et inextinguible du divin, de son goût de l’absolu — tout, jusqu’à ces dons littéraires d’une couleur unique, qui aboutirent autrefois à la création des romans de la Table Ronde et firent, du Cycle de littérature bretonne, le modèle des diverses littératures européennes — tout cela éclate dans l’œuvre de Leconte de Lisle. À côté du Breton qui « croit », il est le Breton qui « nie » ; le « Bleu » de Bretagne à côté du « Chouan ». Les passions sont les mêmes, les vertus et les défauts sont pareils, l’idéal est un.

Ce n’est même pas Bourbon, mais bien le pays celtique qui a fait de Leconte de Lisle un indolent.

Pour le Celte, rêver c’est agir. S’il a tant aimé la nature vierge, la philosophie hindoue ; surtout s’il a dégagé de la mythologie grecque son caractère d’impassibilité ; s’il a fini par se figer lui-même dans une sorte de sérénité qu’il voulait considérer comme la fleur de la philosophie, — c’est que, dans ses méditations, dans ses études, il découvrait la possibilité de donner la figure d’une méthode et la valeur d’un idéal à son penchant le plus secret, le plus atavique. S’il déconcerte, par de subits et courts sursauts d’action, ceux qui ont découvert cet instinct d’indolence dans ses moelles, c’est qu’il cède à son tempérament de celte, qui, de temps en temps, sort de ses songes, pour faire une