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LES ORIGINES

« chouannerie », quand il estime que l’on attente aux idées, dont il se nourrit autant que de pain noir.

C’est encore dans le souvenir de ces hérédités atlantiques, que Leconte de Lisle a précisé l’amour de ces vierges du Nord que l’on voit se dégager de son œuvre avec leurs « yeux clairs », leurs « cheveux de lin », leurs « lèvres de cerises », et qui finissent par lui masquer tout à fait, de leur pureté, voire de leurs « flirts » intellectuels et un peu pervers, les visions de beauté brune et de sincère ardeur créole, dont le contact avait embrasé son adolescence.

D’autre part, ceux qui ont décrit, avec le plus d’exactitude, la mentalité celtique, ont insisté sur l’ironie qui alterne, chez l’Irlandais comme chez le Breton, avec les foucades d’enthousiasme. C’est comme une chute de l’âme sur elle même après la brusquerie d’un effort démesuré. C’est le réveil de pareils élans, toujours suivis d’écrasements. À ces minutes-là le Celte ne se fâche plus, il rit de soi-même et des autres. Il plaisante comme un Oriental. Renan a été l’homme de cette ironie particulière. Leconte de Lisle l’a connue autant que lui. Elle a été la source de ces mots parfois cruels, de ces traits fulgurants, l’origine de ces plaisanteries énormes, où il se délectait avec une naïveté enfantine, et qui font penser aux bons mots dont « Patt », c’est-à-dire Patrick, c’est-à-dire le Celte, est le héros dans les chroniques anglo-saxonnes, et qui vont de la raillerie la plus fine à des bouffonneries de clown shakespearien.

Ernest Renan a dit en propres termes comment la passion que les Celtes, irlandais ou bretons, ont pour les boissons qui grisent, n’a pas son origine dans un désir brutal. Ce qu’ils recherchent, parmi les fumées du rêve, c’est l’oubli de l’existence telle qu’elle est.

Créole, cette fois, par la sobriété qui lui fait boire de l’eau et se nourrir au besoin d’une poignée de riz, Leconte de Lisle, ici encore, apparaît semblable à ces hommes particuliers : il s’enivre, lui, de poésie.