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LA VIE PASSIONNELLE

Quelle est cette saisissante apparition qui, dans le vide de tout, se dresse encore ? Le poète a senti, en soi, des mouvements trop connus, il ne doute plus : charme, horreur, souvenirs débordants de bonheur infini et de pleurs, qui ensanglantent les yeux, heures de délices, heures de tortures — tout cela le traverse, le secoue, le contraint enfin, à nommer, malgré lui, une fois encore, celui qu’il a reconnu, et qui, sur les ruines des ruines, dans le vide de l’universelle destruction, tombe le dernier :


« Tous les enivrements du céleste supplice
Me reprirent au cœur d’une étreinte de fer ;

Et je connus, glacé sur la terre inféconde,
Que c’était là, rigide, endormi, sans retour,
Le dernier, le plus cher des Dieux, l’antique Amour,
Par qui tout vit, sans qui tout meurt, l’Homme et le monde[1] »


  1. « Le Dernier Dieu ». Poèmes Tragiques.