Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Rousseau que professait son père, qu’aux cérémonies d’église où il se rendait, surtout, pour apercevoir, à son entrée et à sa sortie, la jeune fille qu’il aimait.

Cependant, deux pièces de vers, datées, sont l’une de Dinan — il avait vingt ans[1], — l’autre de Rennes, — il avait vingt et un ans[2] — témoignent de la joie qu’il éprouvait, alors, à apercevoir, au travers de la création, le rayonnement du divin[3]. Il faut faire crédit à un enfant poète des défaillances de la forme pour s’attacher uniquement ici au sentiment qui se dégage de la poésie naïve :


« À l’heure de délire où l’âme
Par élans d’infinis, rêve un dernier séjour
Qu’il est doux, qu’il est doux, loin de la terre infime
Comme l’aigle au soleil par le calme sublime
De s’élancer vers son Dieu…[4] »


La seconde pièce : Solitude, accuse un progrès surprenant dans la forme. Elle se termine par cette prière :


« Ô mon Dieu, se peut-il que l’homme vous renie !
Vous dont la main puissante a dispensé pour nous,
Votre amour dans les cœurs, dans les cieux l’harmonie !
… Oh ! faites-moi mourir ! Qu’elle qu’ait été ma vie,
Mon âme vous comprend, et je suis racheté ![5] »


Mais déjà le jeune créole est possédé de la volonté de sor-

  1. Avril 1838.
  2. Octobre 1839.
  3. Ce déisme est différent, dans son point de départ et dans son terme d’arrivée, de celui d’un Bérenger. Leconte de Lisle stigmatise avec énergie la conception d’un Dieu « des bonnes gens » qui n’est selon lui, chez le chansonnier, « qu’une divinité de cabaret philanthropique » ; il lui reproche, de s’être emprisonné dans ce t pauvre et grossier déisme, sans lumière et sans issue ». Et Leconte de Lisle n’est pas plus tendre pour Lamartine : « qui, dit-il, se demande à satiété ce que peuvent être les temps, et le passé, et Dieu et l’Éternité, et ne se répond jamais, par l’excellente raison qu’il s’en inquiète assez peu ». Nain Jaune, 1864.
  4. La Variété. Rennes, 1840.
  5. Ibid.