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LA CONCEPTION DU DIVIN

tir, en cette matière, à ses yeux si importante, d’un vague mysticisme où sa probité d’âme et de pensée se sentent mal à l’aise. Dans un autre poème, qu’il compose au même moment, après avoir fait un effort lyrique, qui ne fut pas constamment malheureux, pour suivre l’auteur de l’Apocalypse dans ses descriptions du Paradis, il s’écrie :


« … Nous envions Saint Jean, le poète divin,
D’avoir connu les cieux que nous rêvons en vain…[1] »


Si, avec les années, le désir de connaître les délices du Paradis s’atténue en lui, son inquiétude du divin s’accroît. En effet, pendant les mois de mélancolie qu’il passe à Bourbon, après son retour de France, il découvre à ses intimes cette profonde souffrance de son cœur encore croyant :

« Il ne faut pas, écrit il, s’accoutumer à vivre seul. Ne croyez pas cependant que cela tue le cœur : cela l’élargit. L’individu en souffre ; l’homme s’en irrite, mais qui sait si Dieu n’y gagne pas. Je cherche ma plus grande somme de bonheur dans la contemplation intérieure et extérieure du beau, infini de l’âme universelle, du monde, de Dieu, dont nous sommes une des manifestations éternelles.[2] »

Et ailleurs :

« Les joies réelles ne sont ni l’amour, ni l’amitié, ni l’ambition car tout cela passe, s’oublie ; elles sont dans l’amour de la beauté impérissable, dans l’ambition des richesses inamovibles de l’intelligence, dans l’étude sans terme du Juste, du Bien et du Vrai absolus, abstraction faite des morales factices d’ici-bas… Les joies fausses sont dans la vie vulgaire, les joies réelles sont en Dieu. Les unes ne nous rendent heureux qu’une seconde, pour nous torturer pendant des années. Les autres, calmes et inaltérables, se révèlent à nous quand nous nous sommes purifiés de celles-là, et nous

  1. Rennes, 1840.
  2. Lettres de Bourbon, 1843.