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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

qu’il possède dans sa conscience une lumière infaillible par laquelle il connaît la justice, et la vérité morale… »

Quand on songe à quelle date ces pages ont été écrites il n’y a pas moyen, malgré les affirmations gratuites qu’elles contiennent, de ne pas faire crédit à la pensée du poète et surtout à son cœur : il était bouleversé du spectacle qu’il venait d’avoir sous les yeux — la victoire, aux mains de ceux qui avaient affirmé, comme un principe moral, que la force prime le droit, le laissait seul avec son amour de la justice, en face du ciel vide. Aussi lorsqu’il s’écrie, avec un peu de la passion qui dévore un Pascal : « Ce qui nous semble bon serait donc mauvais si Dieu le veut et ce qui nous semble mauvais excellent, s’il l’entend ainsi ?… » on voit de reste à quoi il pense : le triomphe de la force brutale sur l’intellectualité, de l’iniquité sur la justice, a été autorisé par ce que les religions appellent « Providence ». Il rompt donc avec cette Providence là. Il fait plus : il la nie. Il affirme qu’elle est un fantôme, inventé par ceux qui veulent dominer les esprits, pour masquer leur pouvoir, dissimuler leurs usurpations d’autorité. Il s’insurge, il ne veut plus connaître d’autre maître, d’autre Dieu que la Raison. Pascal disait : « Plaisante Raison qu’un vent manie » ! Leconte de Lisle qui veut avoir le droit de se soumettre à la sienne la déclare infaillible :

« On ne saurait trop insister, dit-il, sur l’infaillibilité de la raison humaine quand il s’agit de distinguer ce qui est juste de ce qui ne l’est pas. »

On se figure aisément qu’elle put être l’ivresse du poète iconoclaste lorsqu’à cette minute tomba entre ses mains, un recueil de poésies populaires du sud de l’Inde où il trouva cette pièce que les sectataires de Siva chantaient dans les pagodes :

« … Quand viendra l’heure où la mer, la terre, l’air, le feu et le vent seront anéantis, Siva rassemblera toutes les têtes des Dieux. Il en fera un collier, il se le mettra autour du cou