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LA CONCEPTION DU DIVIN

Et plus tard, il s’écriera avec son Hieronymus :


« J’ai crié jusqu’à Dieu qui n’a pas répondu ![1] »


Le fait est, qu’en 1870, brusquement, Leconte de Lisle fit un pas en avant dans la négation. Jusque là, à travers son œuvre, la recherche, la préoccupation, le regret de l’idée du divin avait circulé sans relâche.

Au moment où il publie son Catéchisme populaire Républicain, il semble que cette idée subisse une totale éclipse. En effet, cette fameuse « loi morale», sur laquelle Kant avait cru asseoir la preuve irréfutable de l’existence de Dieu, ne démontre plus rien pour Leconte de Lisle. Son texte est explicite :

« … Les Religions, uniquement fondées sur les dogmes — conceptions abstraites de l’esprit — n’ont rien de commun avec la Loi Morale qui est inhérente à la nature propre de l’homme, et qui n’a jamais pu, par conséquent, lui être extérieure et étrangère. Nous disons : « au point de vue de la raison humaine », car, on ose enseigner encore, que l’humanité ne possède, par elle-même, aucun moyen de distinguer ce qui est juste de ce qui ne l’est pas, et qu’il existe une Raison Supérieure et Toute Puissante qui fait consister l’unique vertu de l’homme dans une aveugle obéissance aux ordres divins, qu’il soient conformes ou non à la nature humaine. Par suite, ce qui nous semble bon est mauvais si Dieu le veut ; et, ce qui nous semble mauvais est excellent, s’il l’entend ainsi. Toute liberté et toute conscience nous étant enlevées, l’homme reste entre les mains d’un maître absolu et incompréhensible, comme l’argile entre les mains du potier, selon la déclaration de Saint Paul… Or la raison humaine nous dit qu’il n’y a, en tout ceci, ni argile, ni potier, ni maître incompréhensible, ni esclave stupide ; que l’homme est libre, et

  1. « Hiéronymus ». Poèmes Tragiques, 1884.