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LA FIGURE DU CHRIST

mère tant aimée. Avec un sanglot de piété filiale, il s’agenouilla devant ce souvenir. Il exhala son émotion dans des vers, où, sous les traits de la Sainte Vierge, il exalta la Maternité douloureuse :


« … Elles te nommeront la Mère des douleur,
Celles qui, gémissant dans un même supplice,
De la maternité tariront le calice !
Et devant ton autel mystérieux et doux,
Les bras tendus vers toi, pâles, à deux genoux,
Elles t’invoqueront, aux feux tremblants des cierges,
Ô consolation des mères et des vierges !… »


De là à penser que, toute mère qui a enfanté un fils épris de l’Idée, passe sur la terre comme une martyre, comme la mère d’un autre Christ, il n’y avait que peu de chemin à franchir. Un soir de découragement total, Leconte de Lisle fit ce pas. Il eut, plus nettement que jamais, la vision de sa propre vocation bafouée et couronnée d’épines. Il songea à toutes les douleurs que sa passion, pour un idéal intangible, avait imposées aux siens. En même temps, il se rappela que, seule entre tous ceux de son sang, sa mère, avait cru autrefois, sans défaillance, dans les destinées de son fils. Il se demanda, avec ardeur, de quelle façon il pourrait payer tant de foi, tant de maternelle angoisse. Il ne trouva pas mieux à faire que d’aller glaner, pour elle, dans les buissons du Calvaire, quelques roses, rougies par le sang du Rédempteur.

Le hasard voulut qu’à cette minute même, un artiste, ami de Leconte de Lisle[1] vînt lui annoncer qu’il avait reçu la commande de quatorze tableaux, figurant un chemin de Croix. Il le suppliait d’écrire quatorze pièces symétriques qui accompagneraient les images ; il fallait naturellement encadrer l’inspiration dans les divisions consacrées par la tradition, et se soumettre aux exigences religieuses. Le poète qui, à toute autre minute de sa vie, eut sans

  1. Le peintre Villeblanche.