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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Ce Dieu est celui pour qui « les siècles sont un jour », et qui, créant l’Univers et la liberté de l’homme, savait déjà qu’il faudrait racheter l’un et l’autre des entreprises du mal :


« Après quatre mille ans, flots sur flots révolus,
Voici l’instant fatal, tel que tu le voulus
Avant le premier jour, l’espace et la durée,[1] »


L’histoire de ce poème de La Passion, qui apparaît dans l’œuvre de Leconte de Lisle, non pas comme un exercice de rhétorique, mais comme un démenti d’une heure, donné à cette irréligiosité ironique dont il s’était fait une loi, doit être ici contée. Publiée en 1858, le poème fut certainement écrit aux environs de 1857. Leconte de Lisle vivait alors plongé en un abattement qui épuisait toutes les forces de son âme. Au lendemain de mille déceptions politiques, littéraires et sentimentales, il assistait, dans la soltitude de son petit logis de la rue Cassette, à l’agonie de toutes ses espérances. Il écrivait, comme un testament, son poème : L’Illusion suprême ; il se considérait sincèrement comme un mourant. En cette heure d’angoisse il retrouva, à la fois, dans son âme désolée, le souvenir de la jeune créole qui avait fait trembler son cœur, alors que, dans le « manchy de rotin », les Hindous la portaient à l’église, et un reflet de sa foi d’enfance pour la religion dont les mystères se célébraient dans cette église-là. Il eut, vers ces lumières, qu’il croyait éteintes avec tant d’autres, un élan qui l’éleva au-dessus de toutes les douleurs présentes :


« Qu’est-ce que tout cela, qui n’est pas éternel ?[2] »


Et à ce moment, où palpitaient en lui, comme les flammes d’un feu qui va s’éteindre, toutes les tendresses anciennes, le poète retrouva, dans le secrtt de son âme, le nom de sa

  1. « La Passion ». Derniers Poèmes.
  2. « L’Illusion suprême ». Poèmes Tragiques.