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LA FIGURE DU CHRIST

profonde ; le Divin Martyr, que l’humanité pleure ; la Toute Lumière ; le Seul Pur ; Celui qui, pour rouvrir à l’humanité la porte de l’Éden que l’ange a fermée :


« Abaissa l’infini dans un corps fait de chair…[1] »


Sûrement, si l’on rapprochait ces vers lyriques de Leconte de Lisle, de vers mystiques qu’une humilité de cœur — qui se refait enfantine pour mieux se mouler sur ce qu’elle adore — inspira à un Verlaine, on aurait le sentiment que l’état d’âme de l’auteur de La Passion, même à ces minutes d’amour et d’admiration, n’est point le véritable esprit chrétien.

Lorsque le poète s’asseyait à sa table, pour écrire ces vers religieux, il lui arrivait, pour raffermir un enthousiasme mal assuré, de se suggestionner à la pensée, que, si le sujet du poème n’était pas de son choix, il lui était une occasion offerte, de témoigner que, dans la peinture des scènes qu’il n’avait point contemplées, et d’émotions qu’il n’avaient point ressenties lui-même, il pouvait égaler les œuvres plastiques des plus grands artistes du monde. Or, il savait quelle confiance il pouvait avoir dans cette imagination de descriptif génial qui, sur l’ordre de sa volonté, évoquait pour lui l’ensemble et le détail, l’extérieur des corps, le dedans des âmes. Mais est-il possible de croire que c’est uniquement à ce don merveilleux d’évocateur que l’on doit des vers saisissants, tels par exemple ceux de cet Ecce Homo :


« ... Comme un bandeau royal, le noir réseau d’épines
S’enfonce amèrement dans ses tempes divines ;
Les immondes liens, le fouet aux nœuds de fer,
De leur empreinte affreuse ont sillonné sa chair ;
La pourpre le revêt, et de sa face pâle,
Quelques gouttes de sang tombent par intervalle,
               Mais son regard est calme…[2] »

  1. « La Passion ». Derniers Poèmes.
  2. lbid.