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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Et Jésus n’entend que des bruits de sanglots, des sifflements de fouets, des grésillements de flammes, de longs hurlements de haine, de douleur, de démence. Il ne voit qu’un fourmillement de spectres, des convulsions de famine et de chair haletante, des faces hâves ou impitoyables, hagardes ou bouleversées de remords, c’est que :


« … L’Extermination fauchait têtes et villes ;
Et les bûchers flambaient, multipliés dans l’air
Fétide, consumant la pensée, et la chair
De ceux qui, de l’antique Isis levant les voiles,
Emportaient l’âme humaine au-delà des étoiles…[1] »


Devant cette atroce vision de l’avenir et de ces tourmenteurs, qui se réclament de son nom et de sa volonté d’amour, l’Homme épouvanté s’éveilla de son rêve :


......« … Et tout son corps suait
D’angoisse et de dégoût devant cette géhenne
Effroyable, ces flots de sang et cette haine,
Ces siècles de douleurs, ces peuples abêtis,
Et ce Monstre écarlate, et ces démons sortis
Des gueules dont chacune, en rugissant le nomme,
Et cette éternité de tortures ! Et l’homme,
S’abattant contre terre avec un grand soupir,
Désespéra du monde et désira mourir…[2] »


On le voit, la volonté du poète est de préciser le divorce qui éclate, à ses yeux, entre la doctrine du Maître et l’application que les Disciples en ont fait. Il ne laissera pas longtemps le Christ étendu sur la terre, dans cette gisance d’abattement. Il le redressera, il lui rendra ce fouet avec lequel il a dispersé les marchands du Temple, il lui remettra, dans la bouche, les paroles dont il poursuivait autrefois ceux qui défiguraient la majesté des choses sacrées. Et voici, dans son poème L’Agonie d’un Saint, Leconte de Lisle fait

  1. « La Bête écarlate ». Poèmes Tragiques.
  2. Ibid.