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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/251

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LA FIGURE DU CHRIST

tion toutefois : c’est qu’elle se dégagera de toutes les défigurations que lui ont imposées, à travers les siècles, « l’ambition et le despotisme de Rome ».

On se souvient que dès 1846, dans un des premiers articles où il exposait sa foi politique le poète a écrit : « … L’École sociale donne chaque jour les moyens scientifiques d’organiser sur la terre, la charité universelle annoncée par le Christ… »

Depuis, Leconte de Lisle n’a cessé d’accumuler, dans de la prose et dans des vers, où son indignation va grandissant, les preuves que, selon lui, la pensée initiale du Christ s’est obscurcie à travers les siècles, dans la fumée de tant de bûchers, dans le sang de tant de massacres.

En effet, dans ses poèmes religieux, de L’Agonie d’un Saint à L’Holocauste, de L’Holocauste aux Siècles maudits, de L’Acte de Charité au Massacre de Mona, de Hiéronymus aux États du Diable, c’est toujours le même sentiment qui soulève l’âme de Leconte de Lisle et éclate, finalement, en sa forme, en son expression définitives, dans sa prodigieuse pièce : La Bête écarlate, qu’il faut lire en entier pour pénétrer, en cette matière, la pensée totale du poète.

Malgré les défiances qu’a inspirées, à l’esprit catholique, la passion que l’auteur de La Bête écarlate a ressentie pour la figure du Christ, envisagée comme le symbole de l’amour fraternel, il faut constater que Leconte de Lisle est ici en communion avec la plus exacte tradition évangélique lorsque, dans ce poème, il évoque Jésus au Jardin des Olives, bouleversé, jusqu’au fond de l’âme, par l’affreuse vision de ce qu’un jour, les hommes feront de sa pensée, de sa doctrine, de l’interprétation de ses préceptes :


« … L’homme, une nuit, parmi la ronce et les graviers,
Veillait et méditait sous les noirs oliviers,
Or, l’Esprit l’emporta dans le ciel solitaire ;
Et, brusquement, il vit la face de la terre
Et les mille soleils des temps prédestinés… « La Bête écarlate ». Poèmes Tragiques. »