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LA CONCEPTION POLITIQUE

Un de ses neveux tombe sur le champ de bataille, il l’envie : « … Alfred a perdu son fils aîné, tué à Toul, par un boulet qui lui a emporté les deux jambes. C’était un brave garçon. Il est bien mort. Il est heureux.[1] »

Leconte de Lisle n’a jamais eu d’illusion sur la fin de la tragédie qu’il vivait. Mais du moins, espérait-il que l’on sauverait l’honneur. Il ne voulait pas que Paris ouvrit ses portes, mais qu’on prit la ville d’assaut :

« … Il faut songer à bien recevoir l’ennemi dans la ville elle-même, faire sauter 20 000 maisons au besoin, occuper toutes les grandes voies par de formidables barricades, et faire payer aux Prussiens, leur victoire probable, par un tel massacre, qu’ils n’entrent ici que sur nos cadavres, à tous »[2].

Et ce ne sont point là les propos d’une cervelle échauffée. Il ne ment pas d’un mot quand il écrit : «… La mort est sur nous, elle peut nous frapper d’heure en heure…[3] » « … Notre bataillon a encore perdu soixante hommes, l’un a été décapité par un obus, l’autre a eu la cuisse droite cassée, vous voyez que la Garde Nationale a fait de son mieux.[4] »

Il est remarquable, qu’à cette minute, où les misères dont Leconte de Lisle est oppressé eussent suffi à accabler une volonté, moins trempée que la sienne, il prophétise : il prédit :

« … L’avenir est horrible : la paix même nous mettra aux mains ici. Le parti extrême n’attend que cela pour recommencer. Nous les avons chassés de l’Hôtel de Ville, mais ils y reviendront.[5] »

Certes, d’un bout à l’autre de sa vie, Leconte de Lisle apparaît, comme incapable de reculer devant aucune des conséquences d’une idée, qu’il croit juste, ou d’une réforme

  1. 9 février 1871.
  2. 5 septembre 1870.
  3. 25 octobre 1870.
  4. 9 février 1871.
  5. 12 novembre 1870.