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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/27

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L’ÉVEIL DU POÈTE

forêts, des bêtes, des hommes. Il écoute l’infiniment grand comme l’infiniment petit. Il caractérise chacune des notes de la symphonie d’un mot qui représente, à miracle, le timbre particulier de l’instrument. Chez lui, le bambou : « sonne » ; le figuier : « murmure » ; les « glapissements » du caïman alternent avec les « miaulements » du tigre ; les « calaous » heurtent sourdement les mortiers, évocateurs du travail esclave. Les cymbales, les conques, les tambours — bruyantes expressions des naïfs plaisirs d’une foule noire — « vibrent, grondent ». Les beuglements « des bœufs bossus de Tamatave » évoquent la lamentation des bêtes, asservies par l’homme. Toutes les rumeurs, confuses et familières, qui montent de la terre et de l’eau, chantent, au commandement de sa rêverie, ainsi que les voix d’un orchestre. S’il a un choix à faire entre les sensations de la vue, de l’odorat, de l’ouïe, qui l’assaillent de toutes parts, il semble que ce soit encore dans cette musique naturelle des choses que Leconte de Lisle puise le plus de volupté :


« … Au tintement de l’eau dans les porphyres roux
Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures,
Et les ramiers rêveurs leurs roucoulements doux.
Tandis que l’oiseau grêle et le frelon jaloux,
Sifflant et bourdonnant mordent les figues mûres,
Les rosiers de l’Iran mêlent leurs frais murmures
Au tintement de l’eau dans les porphyres roux[1]. »


Ces bruits, qu’il lui arrivera de qualifier de « divins » animent pour lui le spectacle du monde. S’ils manquent, si tout est muet, la vision de la nuit, de la mort, brusquement l’assaillent.

Il y a des minutes où ces « voix pieuses du monde » lui emplissent l’âme de paix. Alors son oreille n’entend plus les murmures humains, la nature entière psalmodie pour lui comme un orgue :

  1. « La Verandah ». Poèmes Barbares.