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LA CONCEPTION PHILOSOPHIQUE

Alors, dans l’impossibilité d’échapper, à ses hérédités, du côté de l’inconscience de la lumière et de la joie, Leconte de Lisle décida de les fuir dans l’amour du Néant.

La discipline chrétienne, pensait-il, avait empoisonné les sources de sa vie et tari ses chances de bonheur ? Il se vengeait d’elle en se précipitant dans un pessimisme sans espérance. Contre ceux, qui, naïvement, croient, son œuvre n’a été qu’un cri de colère et de superbe mépris. Mais, au travers de cette passion du néant, de ces violences de destruction, de cette fureur d’anéantissement on peut dire, que, comme dans les éclats de la jalousie d’une Hermione, survit, dans le cœur du poète, sinon l’amour d’un Idéal perdu, du moins, tout le contraire du dédain et de l’indifférence.

D’ailleurs, il semble que Leconte de Lisle ait eu, dès sa première jeunesse le sentiment qu’il était né marqué pour la souffrance. À seize ans, dans les premiers vers qu’il composait on relève cette exclamation naïve :


« … Je sens à mes soupirs…
Que réelle est ma vie. »


C’est-à-dire qu’il prenait conscience de soi dans la douleur. Et quelques années plus tard, il écrivait : « … L’homme d’une nature exceptionnelle aime à être malheureux. L’Âme du poète est faite d’un sentiment de douleur et d’espérance. Celle de l’homme positif, d’un sentiment de joie et de présent.[1] »

Cette disposition naturelle se fortifie en lui par la contemplation de la nature. Il est d’avis qu’elle achemine les hommes au pessimisme, aussi bien que toutes les passions


    aussi, comme le héros de la pièce, le poète a, dans les os : « Le sacrifice et l’angoisse ». Il est affecté « des souillures du monde ». Il porte dans l’âme : « cette ardente blessure », que la souffrance de chaque jour « élargit ». Il a pratiqué, dès sa jeunesse : « le mépris de la volupté et de la vie ».

  1. « Le Songe d’Hermann ». La Démocratie Pacifique, 1846.