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LA CONCEPTION PHILOSOPHIQUE

On conçoit ce qu’une telle espérance a de réconfortant. Cependant, à la minute où cette ascension, de ce qui semble divin dans l’homme, est louée par le poète avec une gloire admirable de lyrisme, il fait entendre, comme en sourdine, un murmure des assistants, qui, après chaque strophe, où l’espérance d’éternité est affirmée, revient ainsi qu’un refrain de doute et de terreur :


« … Berger du monde, accours ! Éblouis de tes flammes
Les deux chiens d’Yama, dévorateurs des âmes…[1] »


Et ceux qui, dans leurs chants semblent « éblouis » eux aussi, par la vision des choses éternelles, craignent cependant que leurs âmes soient dévorées en route. Ils savent que Yama, le Dieu pourvoyeur de la mort, « rabatteur des tombes » erre sans cesse, suivi de ses chiens, qui flairent les traces des pas, donnent la chasse à tout homme vivant. Et l’angoisse que l’homme éprouve, d’entendre, derrière soi, ces abois, lui fait oublier la mort, l’oblige à faire un retour sur lui-même. Il supplie que le Maître de la Vie le maintienne longtemps à la surface des choses et prolonge, pour lui, la contemplation délicieuse des apparences que les astres éclairent :


« … Tes deux chiens, qui jamais n’ont connu le sommeil,
Dont les larges naseaux suivent le pied des races,
Puissent-ils, Yama ! jusqu’au dernier réveil,
Dans la vallée et sur les monts perdant nos traces,
Nous laisser voir longtemps la beauté du soleil…[2] »


Mais le poète, lui, est sorti de ces troubles. Il se réjouit, que l’effort philosophique qu’il a fait pour atteindre la Vérité, l’ait élevé au-dessus de telles craintes et lui fasse apercevoir la mort comme un bienfait.

Un des griefs les plus persistants que Leconte de Lisle

  1. « Prière védique pour les Morts ». Poèmes Antiques.
  2. Ibid.