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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

a continué d’entretenir dans son cœur contre le Moyen Âge chrétien était la façon dont il a défiguré la Mort, la faisant affreuse afin qu’elle devint, en même temps qu’un objet d’épouvante, un moyen de gouvernement ;


« … Une tête et deux os d’homme, hideux emblème…[1] »


Cette vision médiévale de la mort lui répugnait. Il préférait, pour sa part, celle que la Grèce donnait à cette figure : elle l’identifiait au dieu du Sommeil. Elle ne voulait la distinguer de lui que par le calme plus grand qu’elle répandait sur ses traits. C’est dans cette pensée que songeant, dans l’Illusion suprême, à cette jeune créole dont le souvenir a hanté toute sa vie, le poète écrivit :


« ... La tombe bienheureuse a sauvé sa beauté…[2] »


Il ne se réjouit pas seulement que la Mort ait divinisé un cher souvenir : il envie ceux qui, comme cette frêle enfant, s’arrêtent dès les premières étapes du chemin :


« … Le mal est de trop vivre, et la mort est meilleure.[3] »


À l’époque où une rupture sentimentale plongeait le poète dans un découragement, où périt le dernier désir qu’il avait de vivre, il éprouva de l’apaisement à évoquer, sur un champ de bataille, les morts, dont les chiens viennent, au milieu de la neige, « entrechoquer les os ». Il pensa qu’il aurait voulu être un de ces glorieux tombés :


« … Ah ! dans vos lits profonds quand je pourrai descendre !
Comme un forçat vieilli qui voit tomber ses fers,
Que j’aimerai sentir, libre des maux soufferts,
Ce qui fut moi rentrer dans la commune cendre !…[4]

  1. « L’Agonie d’un Saint ». Poèmes Barbares.
  2. « L’Illusion suprême ». Poèmes Tragiques.
  3. « Le Vœu suprême ». Poèmes Barbares.
  4. « Le Vent froid de la nuit », 1845.