Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
LA CONCEPTION PHILOSOPHIQUE

Ce désir de mourir revient chez lui comme une obsession. C’est une des rares occasions où il prend la parole en son nom propre :


«... Que ne puis je-couché sous le chiendent amer,
Chair inerte, vouée au vent qui la dévore
M’engloutir dans la nuit qui n’aura point d’aurore,
Au grondement immense et morne de la mer…[1] »


Une seule fois il ajoute l’expression d’un souhait à cette proclamation de son impatience d’en finir avec la vie, et ce souhait c’est le plus humain, le plus tendre de tous : il voudrait que ses os blanchissent près des dépouilles de ceux qu’il a aimés :


« … J’ai goûté peu de joie, et j’ai l’âme assouvie
Des jours nouveaux non moins que des siècles anciens :
Dans le sable stérile où dorment tous les miens
Que ne puis-je finir le songe de ma vie ! »


Quel homme désirerait vivre si on pouvait lui laisser jeter, sur sa destinée, un coup d’œil prophétique ? Quel homme consentirait à ressusciter, s’il savait qu’il doit porter, dans le recommencement de la route, le poids des souvenirs anciens ? Le poète va chercher, dans l’ombre où il gît, muet depuis tant de siècles, le père de tous les humains, le vieil Adam. Il le ressuscite. Il l’oblige à rouvrir les yeux, à se lever, à gravir la montagne d’Hébron ; il fait repasser dans son cœur les souvenirs d’Ève, du Paradis, — du meurtre de Qaïn, de cette heure de torture où :


« …La femme a pleuré, mort, le meilleur de sa chair ![2] »


Sous le poids de ses douleurs, le vieil Adam s’écroule :


« … Grâce, ! Je me repens du crime d’être né…[3]


  1. « Si l’Aurore ». Poèmes Barbares.
  2. « La fin de l’Homme ». Poèmes Barbares.
  3. Ibid.