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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Et il s’abîme d’épouvante en songeant que son péché et son supplice lui survivent dans sa race.

Quelle sera la dernière espérance, du poète, — que de telles visions hantent, et qui plie à ce point sous la charge de « l’universelle souffrance, » sinon la certitude de « l’universelle destruction » ? La prophétie que Leconte de Lisle en fait, à la fin de ses Poèmes Barbares, l’enivre d’une sorte de joie triomphale. Oui ! Un jour l’homme finira, avec ses blasphèmes, ses cris d’épouvante, de haine, de rage, ses tourments, ses crimes, ses remords, ses sanglots, ses forçats, ses rois, ses dieux ! Et tout ce qui a été créé, tout ce qui peuple la terre, la mer, le ciel — de mouvement, de couleur, de charme de murmures — s’effondrera, en même temps, que l’homme :


« … Les bêtes des forêts, des monts et de la mer,
Ce qui vole et bondit et rampe en cet enfer,
Tout ce qui tremble et fuit, tout ce qui tue et mange,
Depuis le ver de terre écrasé dans la fange
Jusqu’à la foudre errant dans l’épaisseur des nuits !
D’un seul coup la Nature interrompra ses bruits…[1] »


Il n’y faudra que la rencontre d’une autre planète qui défoncera l’écorce de la vieille et misérable terre et qui, par mille crevasses, fera, avec ses océans, ruisseler sa flamme intérieure.

Dans un article, écrit au moment de l’élection de Leconte de Lisle à l’Académie Française, M. Henry Houssaye fait cette remarque ingénieuse, que l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, a, tout autant que le poète de Solvet Seclum, déclaré que la vie est un mal, la mort, un souverain bien :

« … Pour l’auteur de l’Imitation, dit-il, comme pour Shopenhauer, comme pour Leconte de Lisle, la vie est mauvaise, la mort est une délivrance. Mais, tandis que l’un met

  1. « Solvet Seclum ». Poèmes Barbares.