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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

hymne, si grandiose, qu’il dépasse peut-être tous les autres élans du lyrisme où sa pensée a éclaté. Il apparaît, alors, après le soulèvement tumultueux de tant d’espoirs, de tant de doutes, comme le pic suprême d’où il a aperçu le plus lointain horizon :


« … Et ce sera la Nuit aveugle, la grande Ombre
Informe, dans son vide et sa stérilité,
L’abîme pacifique où gît la vanité
De ce qui fut le temps et l’espace et le nombre…[1] »


Analysant cette formule, et celles où, dans son œuvre, le poète a exprimé la même pensée, Alexandre Dumas fils a dit : « Leconte de Lisle croit dans l’univers à une simple série de formes qui s’engendrent les unes les autres et s’évanouissent aussitôt que formées, disparaissent dans une sorte d’éternel tonneau des Danaïdes, que l’Éternelle Nature renouvelle éternellement pour l’Éternelle Mort. »

On peut, en effet, rapprocher un grand nombre de passages qui donnent lieu de penser que Leconte de Lisle voulut que la foule de ceux qui le liraient s’arrêtât, à l’affirmation du Néant, comme à son choix et à sa conviction dernière :


« … La terre s’ouvre ; un peu de chair y tombe ;
Et l’herbe de l’oubli, cachant bientôt la tombe,
Sur tant de vanité croît éternellement.[2] »


Il est dit, dans l’Illusion suprême que, celui qui meurt, « va goûter le sommeil sans aurore », il sera de la chair qui va disparaître, « une âme qui s’évapore ».


« … Et les hommes croissaient, vivaient, mouraient, semblables
À des rêves, amas de choses périssables
Que le vent éternel des impassibles cieux
Balayait dans l’oubli morne et silencieux…[3]

  1. « La Dernière Vision ». Poèmes Barbares.
  2. « Le Vent froid de la Nuit ». Poèmes Barbares.
  3. « Le Corbeau ». Poèmes Barbares.