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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

beauté de la forme, est le vague de la pensée, ce vague qui, au début de presque toute carrière poétique est l’état d’une âme soulevée d’émotions et d’intentions qui se précisent mal. Lui-même semble, s’être évadé, dès sa première jeunesse de ces « indécisions ». En effet dès 1841, on lit dans ses cahiers d’adolescent une appréciation, du Jocelyn de Lamartine, qui prouve que, déjà, les poètes qui se bercent de sanglots et se plaisent dans une poésie vague, impatientent Leconte de Lisle : « Je me suis décidé enfin à lire Jocelyn… Je savais M. de Lamartine très capable de rendre, avec vérité, une existence remplie de poésie ; mais je me doutais aussi qu’il sacrifierait souvent la douce et gracieuse peinture que comportait un tel sujet, au vague prétentieux qui abonde dans ses plus beaux ouvrages... »

Leconte de Lisle, qui est habitué à lutter contre le mot, contre la phrase, jusqu’à ce que l’expression lui ait donné satisfaction totale, juge, avec sévérité, tout ce qui, en poésie, est facilité sans contrôle et lyrisme égoïste. Certes, il ne marchande pas, à l’auteur des Méditations, une imagination noble et élevée : « marquée de quelques traits saisissants de génie » ; ni l’éclat des inspirations « presque toujours hautes et pures » ; il constate que Lamartine est : « le plus fécond, le plus éloquent, le plus lyrique des faiseurs de vers du XIXe siècle. » Mais ici les réserves commencent. Il note que cette riche imagination est flottante » — qu’elle touche seulement « à la superficie des choses » ; que ses inspirations sont « incomplètes » ; que Lamartine succombe aux atteintes d’une sorte de « phtisie intellectuelle » ; au goût dépravé d’un « étrange mysticisme mondain » ; à une « mélancolie bâtarde ». Il affirme que, trop souvent, pour l’auteur des Méditations, la foi, l’amour, la poésie n’ont été que « matières à amplifications brillantes ». Enfin il déclare que Jocelyn lui apparaît comme la révélation d’un état d’esprit « qui le blesse et l’irrite dans toutes ses fibres sensibles ». Il ajoute :