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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/301

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LA CONCEPTION DE L’ART

trop, pour qu’on s’appliquât à rechercher si son vers était beau. Enfin, on ne voulait pas s’apercevoir que, malgré le génie du poète, les Orientales d’Hugo portaient le sceau d’une convention aussi éloignée de la vérité que les keepsake des « Quatre Saisons » : les « aimées », les « baigneuses » du poète, n’avaient pas plus de réalité que les « Printemps » et les « Automnes » coiffés de pampres et de raisins.

Leconte de Lisle ne se lassait pas de dénoncer l’affadissement où le vers était tombé, et d’attaquer la mollesse du courage qui faisait glisser les poètes à se contenter d’une médiocrité de forme si peu adéquate à une pensée haute.

« … Nous nous sommes faits, dit-il, grâce à notre extrême paresse d’esprit, qui n’a d’égale que notre inaptitude spéciale à comprendre le Beau, un type immuable de versification en tout genre, quelque chose de fluide, d’une harmonie flasque et banale. Dès qu’un vers bien construit, bien rythmé, d’une riche sonorité, viril, net et solide nous frappe l’oreille, il est jugé et condamné en vertu de ce principe : nul ne possède toutes les puissances de l’expression poétique qu’au préjudice des idées : il ne faut pas sacrifier le fond à la forme.[1] »

Et il braque le feu de ses ironies contre les poètes qui parlent ainsi et qui : « se gardent bien d’être d’habiles artistes » :

« Ils y parviendraient sans peine et sur l’heure disent-ils ! Mais leur ambition est d’un ordre infiniment plus élevé ! Ils puisent leur génie dans leur cœur ! S’ils daignent sacrifier au rythme et à la rime, ils ne dissimulent point le mépris que ces petites nécessités leur inspirent en composant, d’inspiration, des vers, d’autant plus sublimes… qu’ils sont plus mauvais…[2] »

Or, selon Leconte de Lisle, le plus grand obstacle à la

  1. Préface aux Poèmes de Baudelaire, 1861.
  2. Ibid.