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Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/307

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LA CONCEPTION DE L’ART

« Vous avez déclaré que la régénération de la Poésie ne peut être opérée que par sa fusion avec la Science, s’écriait Alexandre Dumas fils, en recevant Leconte de Lisle à l’Académie française : Avec une pareille esthétique la forme devait être modifiée pour ainsi dire, de fond en comble. Il fallait que votre langue poétique eût avec l’harmonie, la couleur et la souplesse de la langue de sentiment, la sûreté, la fermeté des termes scientifiques. C’était là le problème à résoudre. Vous l’avez résolu. Vous avez enfermé, quant au métier, les poètes à venir dans des lois rigoureuses dont ils ne pourront plus sortir sans s’évaporer dans le bleu ou se noyer dans le gris. Les élèves de Victor Hugo, après s’être égarés dans les mille chemins que le Maître s’est frayés, et que lui seul pouvait parcourir jusqu’au bout, ne parviendront à faire œuvre qui dure, que s’ils reviennent à votre école. »

À côté de cet éloge, Alexandre Dumas, qui conservait, contre la philosophie de Leconte de Lisle, quelque rancune, avait tenu à apporter ce qu’il considérait comme un blâme : il distingua la facilité géniale des inspirations de Victor Hugo, de l’application réfléchie, de l’étude patiente qui soutiennent l’œuvre de Leconte de Lisle. Mais le poète ne s’en offensa point, il avait toujours été d’avis que le « don », dans « l’art », est insuffisant à faire un grand écrivain :[1]

« … Pourquoi, dit-il, Victor Hugo est-il en effet, avant tout, un sublime poète ? C’est qu’il est un irréprochable artiste, car les deux termes sont nécessairement identiques. Il a su transmuter la substance de tout en substance poétique, ce qui est la condition expresse et première de l’art, l’unique moyen d’échapper au didactisme rimé, cette négation absolue de toute poésie.[2] »

  1. Il avait été heureux d’entendre Brunetière dire en pleine Sorbonne : « Il faut louer Leconte de Lisle d’avoir reconnu le pouvoir de la forme, d’avoir dit et prouvé par son exemple qu’aucune école ne vaut, pour un pareil apprentissage, l’école de l’antiquité. »
  2. Avant-propos aux critiques du Nain Jaune, 1864.