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L’ÉPREUVE DU THÉÂTRE

loi des « hérédités » dont la science la plus contemporaine commence à préciser la formule.

Certes, le poète se dominait trop pour laisser paraître dans sa tragédie la joie que lui causait une telle découverte, cependant il ne réussit pas à cacher complètement, qu’une fois de plus, avec la volupté d’un philosophe, il assistait à l’écroulement d’un de ces fantômes à l’aide desquels les Religions ont longtemps gouverné les hommes et qu’un beau jour la science démasque. C’est en ce sens que M. Vianey a raison de dire :

« … Les Érinnyes de Leconte de Lisle nous apportent, dans un décor très ancien, des actes d’une sauvagerie très primitive, et expliqués par une psychologie très moderne… » Il n’y a pas de doute que Leconte de Lisle n’ait éprouvé une satisfaction profonde dans la possibilité que les Érinnyes lui avaient donnée de produire, sur le théâtre, sous un voile de poésie, une doctrine scientifique à laquelle il croyait. Mais il escomptait, comme une joie plus haute encore, l’espoir de produire, sur la scène, cette Apollonide dans laquelle il avait exprimé sa pensée complète sur la Beauté, et sur le culte que les hommes lui doivent. Cette douceur lui fut refusée. Ce fut seulement en 1896, — deux ans après la mort du poète, — que le directeur de l’Odéon monta la pièce qui avait été publiée en librairie douze années plus tôt[1].

Quoi qu’il en soit, Leconte de Lisle a écrit l’Apollonide pour rendre visible, aux yeux de tous, l’apothéose d’art, de beauté, de poésie dont lui-même était ébloui lorsqu’il fermait les yeux sur le monde extérieur, pour se tourner vers l’idéal grec, dont il s’était éclairé, et qui vivait en lui. Il faut lire, dans les Impressions de théâtre de M. Jules Lemaître[2], l’analyse de l’Ion d’Euripide, où Leconte de Lisle a

  1. La pièce fut précédée d’une conférence de M. Jules Lemaître dont les critiques provoquèrent une polémique intéressante avec M. Catulle Mendès. Le Journal, 12 décembre 1896.
  2. Euripide, 9e série.