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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

trouvé les sources de son inspiration, pour se faire une idée exacte des différences radicales qui, encore ici, séparent la pièce grecque de la pièce française. A-t-on le droit de dire que l’Apollonide n’est point, comme l’Andromaque ou la Phèdre de Racine, une pièce nouvelle sur un sujet ancien — mais une simple « adaptation » — sous prétexte qu’il n’y a pas une scène de l’Apollonide qui ne soit dans Ion ?

Quoiqu’il en soit, l’esprit dans lequel Leconte de Lisle s’est fait sa route, entre les faciles ironies et les élans de sincérité religieuse, qui s’entretissent dans le drame d’Euripide, aboutit à faire, de l’Apollonide, une œuvre d’un caractère totalement différent de son modèle. Qu’est-ce à dire ? Pourquoi Leconte de Lisle, le plus ironique, le moins pieux des hommes, ne suit-il, ici, Euripide dans aucune de ses satires contre les Dieux et leurs mœurs ? C’est qu’il s’agit, cette fois, de la Beauté, et de la Beauté grecque. Alors les sentiments du poète sont ceux de ce jeune Ion lui-même, qui veille à entretenir la pureté du Temple, et qui s’écrie :


« Laurier, désir illustre oubli des jours funestes
Qui d’un songe immortel sais charmer nos douleurs !
Permets que, par mes mains pieuses, ô bel Arbre,
Ton feuillage mystique effleure le parvis,
Afin que la blancheur vénérable du marbre
                Éblouisse les yeux ravis ![1] »


Le rire, qui défigure les visages autant que les convulsions de la douleur, doit être d’un bout à l’autre banni de cette histoire religieuse, dont les héros sont, un Dieu invisible, le jeune prêtre Ion, et Kreousa, la reine douloureuse qui est à la recherche de son enfant perdu, fils d’Apollôn.

Il s’agit, cette fois, de conter, allégoriquement, l’aventure la plus chère au cœur de Leconte de Lisle, de représenter la filiation d’Athéna avec l’Olympe par l’intermédiaire d’Ion, fils divin du grand Apollon, Dieu du soleil et des Arts. La

  1. « L’Apollonide ». Derniers Poèmes.